Veiller au « grin »

C’est au détour d’une rencontre avec des jeunes d’un quartier populaire de la périphérie de Bamako en 2009, que m’est venue l’idée de faire le portrait de leur grin, terme employé au Mali pour désigner les bandes d’amis, les groupes de sociabilité qui se tissent durant l’enfance et perdurent tout au long de la vie.

Ce groupe de jeunes hommes m’a fait entrevoir un autre visage de la jeunesse malienne, loin des images éculées de désœuvrement, de pauvreté et de violence. J’ai tenté de retranscrire par l’image le sentiment de légèreté et de joie du vivre qui accompagnait ces moments passés à discuter en buvant du thé. Au final, les portraits que je présente ici sont ceux de jeunes qui vivent selon des codes propres à leur génération et à leur âge, piochant ici et là dans différents répertoires symboliques, aussi bien vestimentaires que politiques.

L’appropriation d'« Alkaida » comme emblème peut choquer et nous interroge nécessairement au regard de la crise politique et territoriale que traverse le Mali aujourd’hui. Pourtant, à l’époque où je les ai photographiés, ces jeunes étaient loin d’imaginer l’existence d’AQMI ; ils n’avaient - et n’ont toujours - rien de commun avec un quelconque radicalisme religieux et politique. S’ils associent Ché Guevara à Al-Qaïda, d’autres grins de la capitale s’emparent de Thomas Sankara et d’Obama. Leurs imaginaires voyagent et s’alimentent d’un quotidien fait de discussions politiques, de jeux de séduction, de tournées de thé et de la prise en charge des petits frères et petites sœurs du quartier.

Derrière ces portraits, l’influence du travail réalisé par le photographe malien Malick Sidibé sur la jeunesse urbaine à l’indépendance du pays, est indéniable. Comme lui, c’est avec un Rolleiflex (ainsi qu’un appareil numérique) que j’ai entamé il y a de cela 4 ans ce travail, en Noir et Blanc et en Couleur, dans le cadre d’un projet photographique et socio-historique plus large sur les jeunes urbains au Mali. 

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